Deux jeunes poissons croisent le chemin d’un vieux poisson, qui leur fait signe de la tête en disant « Salut les jeunes. L’eau est bonne ? ». Les deux jeunes poissons se regardent et demandent "c’est quoi l’eau ?"
Je me souviens des premières années, après avoir terminé mes études et obtenu mon diplôme. J’étais enfin “libre” et indépendant. J’avais trouvé un bon travail qui me permettait de vivre confortablement. Les semaines défilaient. Puis les mois et les années ont commencé à défiler. Je n’étais pas malheureux, loin de là.
Au cours de ces années, j’ai peu évolué. J’ai bien sûr acquis des compétences “professionnelles”, sportives, culturelles et relationnelles. Mais le temps défilait de plus en plus vite, tellement plus vite que l’évolution de ma vision du monde. Je suivais le style de vie qui était normal après mon parcours, le style de vie par défaut. Je suivais, sans m’en rendre compte, des routines : réveil matin à 7h, travail, repas le soir à la maison ou au restaurant, bar ou TV. Des week-ends et quelques semaines de vacances par an pour recharger les batteries.
J’avais un système de croyances et de valeurs, une vision de la réalité et du monde que je n’avais jamais remis en question. Après tout, j’avais bien été formaté par le système et mon environnement. Je n’étais pas conscient, je vivais en pilote automatique. Je vivais en réaction à des émotions, à des évènements. Je n’étais pas conscient que j’avais le choix, que je pouvais changer fondamentalement.
Pourquoi un pilote par défaut ?
Nous voyons le monde à travers un prisme, qui nous renvoie notre vision de la réalité. Cette réalité interne est composée de :
- Notre système de croyances et de valeurs, qui nous permet de juger les évènements et les gens. Les valeurs sont nos fondamentaux sur lesquels on ne fait pas de compromis et nos croyances sont ce qui façonne totalement notre perception du monde.
- Notre mental (notre voix et nos monologues intérieurs) ainsi que nos émotions. Nous sommes tous, durant une grande partie de la journée, dans nos pensées, à écouter notre voix intérieure et ses monologues.
- Nos habitudes qui constituent les comportements et routines que nous faisons “automatiquement” et sans effort (se brosser les dents, s’habiller, prendre le café le matin, aller au sport, etc.). Ces habitudes permettent de libérer les ressources nécessaires à notre cerveau pour les activités plus complexes, comme la prise de décision et la réflexion.
Ces différentes caractéristiques internes décrivent presque tout notre comportement.
Nous pouvons les “subir” sans en être vraiment conscient, en s’identifiant totalement à elles. Et ainsi se laisser porter en vivant avec un niveau de conscience bas. C’est ce que j’appelle le pilote automatique, car c’est le fonctionnement par défaut et qui se fait sans effort. C’est ce fonctionnement qui nous pousse à confondre nos caractéristiques et notre identité, alors qu’il s’agit de deux choses différentes.
Mais nous pouvons aussi en être conscient, se rendre compte que ce ne sont que des caractéristiques et non notre identité immuable. Se rendre compte que nous sommes bien plus que ça, et que ces caractéristiques peuvent évoluer. C’est quand on fait la différence entre nos caractéristiques et notre identité, qu’on peut réellement les percevoir et agir dessus. Et ainsi, vivre avec un plus haut niveau de conscience et avoir le pouvoir de modifier ces caractéristiques.
Mais pourquoi voudrions-nous en être conscient et les modifier ?
Ce qui est certain, c’est que si nous n’augmentons pas notre niveau de conscience, nous serons peu enclins à transformer ces caractéristiques, sauf grosse crise dans la vie.
Et alors, les années vont défiler. Nous allons continuer avec les conditions de vie qui ont été décidées pour nous (par notre éducation et notre société). En général, nous allons donc passer la majeure partie de notre temps de vie à :
- travailler (dans un travail choisi par défaut pour beaucoup d’entre nous, en suivant les conseils de la société et les opportunités)
- faire des corvées (ménage, administratif, …)
- satisfaire nos besoins primaires (respirer, manger, boire, sport, …)
- décompresser, essayer d’échapper à notre quotidien (comater devant la TV, festivités alcoolisées, …)
"Si vous voulez comprendre une société, regardez bien les drogues qu'elle utilise. Hors médicaments, il n'y a essentiellement que deux drogues tolérées par la civilisation occidentale : la caféine du lundi au vendredi pour vous donner suffisamment d'énergie et faire de vous un membre productif de la société. Et l'alcool du vendredi au lundi pour vous garder trop stupide pour comprendre la prison dans laquelle vous vivez." ― Bill Hicks
Puis un jour, nous pourrions avoir un moment d’introspection (lors d’un choc, d’une crise, en arrivant à la retraite, sur notre lit de mort) et faire le bilan de notre vie. Allons-nous regretter de n’avoir pas assez travaillé, fait la fête ou regardé la TV ? Ou allons-nous regretter de ne pas vraiment avoir vécu ? D’être resté dans une routine mécanique ? D’être resté endormi avec un niveau de conscience faible ? De ne pas avoir concentré nos efforts sur les choses essentielles dans la vie ?
Le système de croyances “dominant”, ultra-individualiste et ultra-consommateur, risque de nous faire vivre quotidiennement énormément de petites frustrations. Je ne dis pas que c’est le système de tout le monde bien sûr, mais c’est fréquent. Si nous ramenons chaque évènement à notre individualité (“je suis le centre du monde”) et à nos droits, c’est à dire à ce qu’on juge inconsciemment comme un dû suprême, avec nos besoins qui devraient déterminer les priorités du monde, le moindre petit caillou va nous faire souffrir. Le retard du métro va nous paraître tellement injuste (“je ne mérite pas ça, je suis pressé”), la queue à la caisse du supermarché terrible (“mais elle le fait exprès d’être aussi lente ??”), les embouteillages insupportables (“mais quel **** il me coupe la route”).
Alors qu’un système de croyances différent pourrait transformer la frustration en joie (“le métro est en retard, chouette je vais pouvoir lire plus longtemps”. “La queue est longue à la caisse, ça doit être dur d’être caissière, j’ai de la compassion pour elle”. “La voiture me coupe la route, peut être qu’elle a une grosse urgence”). On ne peut pas contrôler ce qui nous arrive, mais on peut contrôler comment on y réagit.
Si nous en sommes conscient, pourquoi privilégier un système qui nous fait souffrir ?
Comment désactiver le pilote automatique ?
Se rendre compte de nos conditionnements, de notre système de croyances, de nos émotions et habitudes est simple : il faut en être conscient. Et ne pas s’identifier à eux. Si nous ne sommes pas conscient, nous sommes par définition dans le mode pilotage automatique. Il faut sortir du mode réactif (se laisser porter par ses réactions et émotions), prendre du recul. S’observer et s’auto examiner.
"Une vie non examinée n'est pas digne d'être vécue" - Socrate
Mais comment concrètement ? Différents axes et chemins sont possibles. Par exemple :
Attendre une crise de la vie. Même si on est totalement en mode pilote automatique, les crises de la vie peuvent faire monter d’un coup le niveau de conscience. Ces crises peuvent être de différentes natures, comme une crise de la quarantaine, l’arrivée à la retraite, une maladie grave, la mort surprise d’un proche, etc. La difficulté lors de ces moments est d’arriver à avoir une approche positive et se servir de l’électrochoc pour modifier sa vision du monde et ses valeurs. Et ne surtout pas partir dans une spirale négative pouvant mener à la dépression ou au cynisme. J’ai été marqué par l’histoire d’une personne qui travaillait dans la finance à Paris. Il gagnait très bien sa vie et travaillait énormément. Puis un jour, alors qu’il faisait de l’escalade pendant ses vacances, il a fait une grosse chute et a échappé de justesse à la mort. Pendant sa convalescence à l’hôpital, il a eu une forte prise de conscience sur sa vie, sur sa mortalité, et a totalement changé (reprise des études dans un domaine qui le passionne réellement). De ses aveux quelques temps après, cette chute a été le moment le plus important de sa vie. Mais devons-nous vraiment attendre une crise avant de nous réveiller et de prendre du recul ?
Réfléchir profondément aux questions philosophiques de la vie, remettre en cause ses convictions et ses valeurs. Quel est le sens de ma vie ? Quelles sont mes valeurs ? Réfléchir à ce genre de questions oblige à prendre du recul. Ca permet de sortir du mode automatique, et de remettre en cause ses valeurs. Et si nos valeurs changent, c’est toute notre vision du monde qui change. Bien sûr, il est souvent plus confortable de ne pas réfléchir à ces questions, de se laisser porter en se disant que nous verrons bien. Mais pourtant, ouvrir la porte à ces réflexions, qui sont au coeur de la condition humaine, c’est se forger sa propre vision du monde et ses propres valeurs. Et non pas de conserver celles que l’on a eu de notre éducation et de notre environnement, qui ne sont pas forcément à notre faveur. C’est la curiosité intellectuelle et la remise en question qui séparent ceux qui suivent le troupeau de ceux qui tracent leur propre chemin. L’ouverture d’esprit et la capacité à remettre en question ses convictions s’appliquent à tous les domaines, que ce soit la musique, l’alimentation, la religion, le sport ou la politique…
Travailler sa conscience de l’instant présent. Au long de nos journées, nous passons une bonne partie du temps dans notre dialogue intérieur. Souvent, sans même nous en rendre compte, nous ruminons, nous avons des pensées qui tournent en boucle. Nous ne sommes pas présents dans l’instant, mais occupés à nous remémorer le passé ou nous projeter dans le futur. Le problème est que ces pensées se font dans le cadre d’une vision très restreinte que nous confondons avec la réalité, sans en avoir conscience. Comme si nous passions la journée à rêver et à considérer ce rêve comme la réalité. Parfois nos pensées peuvent être négatives et alors façonner une perception de la réalité qui sera négative. Et donc nous donner une expérience négative.
Or, on peut par moment accroitre notre conscience de l’instant présent, en observant ce qui se passe réellement sans nous laisser entrainer par nos pensées. On peut aussi observer nos pensées, afin d’en prendre conscience et de pouvoir peu à peu nous libérer de celles inutiles (stress, rumination, anxiété du futur ou nostalgie du passé, peurs, etc.) et privilégier celles qui nous donnent du pouvoir. La façon la plus connue de travailler cela est la méditation en pleine conscience. Il s’agit de prendre un moment pour fermer les yeux et observer ce qui se passe à l’intérieur (sensations corporelles, émotions, pensées) et à l’extérieur de nous (sons, odeurs, …). Mais ce n’est pas le seul moyen. Simplement prendre un peu de temps régulièrement, par exemple en marchant dans la nature, pour observer ce qui se passe à l’extérieur et à l’intérieur de nous est bénéfique. Le résultat de ce travail est que peu à peu notre présence va devenir plus forte au quotidien, et permettre d’avoir un esprit bien plus clair. Une clarté qui nous permettra de repérer certains conditionnements et d’élargir notre vision de la réalité. Qui nous nous permettra de nous rendre compte de nos émotions, de nous libérer des pensées qui nous stressent, nous font peur, qui nous limitent.
Reprendre les manettes, être soi-même
Et en laissant moins le pilote automatique activé que se passe-t-il ? Si on fait l’effort d’être plus conscient, si on fait l’effort de vivre selon ses propres termes ?
Aligner sa façon de vivre avec ses valeurs, être soi-même. Il est possible d’avoir des valeurs et de ne pas les respecter, si nous ne sommes pas conscients. Il est facile de ne pas y penser et de se donner des excuses. Mais en étant vraiment conscient de ses valeurs et de ses comportements, il est beaucoup plus difficile de ne pas les respecter. Nous ne pouvons plus nous voiler la face et les ignorer. Or n’est-ce pas nécessaire pour l’épanouissement d’agir en conformité avec ses valeurs, donc avec qui on est ?
"Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde" - Gandhi
Réalisation de la futilité de nombreuses préoccupations et peurs du quotidien. Nous allons tous mourir un jour et nous avons tous la chance d’être vivant en ce moment. En mettant en perspective nos tracas et nos peurs avec la vision globale de la vie, nous pouvons voir que dans beaucoup de cas, nous nous inquiétons pour rien. N’est-ce pas préférable, parfois, d’accepter ce qui est, plutôt que d’y résister ? Quand nous nous concentrons sur ce qui est vraiment important, le reste paraît tellement plus simple. Bien sûr, ça semble facile, mais c’est dur au quotidien, si on ne reste pas conscient et réveillé.
S’améliorer et se coucher chaque soir plus sage. En observant son système de croyances, son mental, on s’améliore progressivement. On fait évoluer nos pensées, on se connaît mieux et on peut corriger certains comportements ou attitudes négatives. C’est là que la lecture et la réflexion peuvent être des leviers très puissants pour apprendre. Nous avons la chance de pouvoir si facilement profiter des réflexions des autres et de bénéficier des leçons qu’on aurait pu mettre des années à comprendre par soi-même. Un bon livre au bon moment peut réellement enclencher des changements énormes dans notre vie et nous permettre d’avoir des déclics. En être conscient et prioriser du temps pour la lecture et l’introspection est fondamental.
"De toute ma vie, je n'ai connu aucune personne sage (quel que soit le domaine) qui ne lit pas énormément. Aucune, zéro." Charles Munger, associé de Warren Buffet
Profiter du quotidien. Sans pilote automatique, nous sommes conscients de ce que nous avons. Et nous en avons des choses (malheureusement ce n’est pas le cas de tout le monde) ! Nous avons un toit, nous sommes bien nourris, habillés, soignés. Nous pouvons avoir de l’eau chaude en tournant un robinet et de la lumière la nuit. C’est déjà plus que ce qu’un empereur romain pouvait avoir il y a 2000 ans ! Nous pouvons être plein de gratitude pour cette abondance incroyable que nous avons. Nous pouvons nous réjouir des petites choses du quotidien. Prendre le temps d’apprécier la beauté d’un lever de soleil, l’odeur des fleurs au printemps, un bon café chaud le matin. Cet état d’esprit est très puissant (difficile d’être plein de gratitude et frustré en même temps…) et permet de profiter de chaque jour. Chaque jour, qui pourrait être le dernier.
Alors n’oublions pas d’être conscient. N’oublions pas de débrancher le pilote automatique par moment.
Tout comme les deux poissons dans la citation du début de l’article, n’oublions pas : “c’est ça l’eau”. Ne confondons pas nos croyances avec la réalité.